Le théâtre action

Partager dans les théâtres la parole avec ceux qui ne l’ont pas = agir avec le théâtre, c’est le théâtre action.

Le théâtre action c'est :

– témoigner d'une réalité par des amateurs et des professionnels avec les moyens conjugués du théâtre, de la musique, de la danse et de la vidéo
– partager les trésors du savoir et de l’art avec des personnes qui n’y ont pas accès pour raisons économiques, sociales et culturelles
– donner et partager la parole avec ceux qui ne l’ont pas dans les lieux qui sont faits pour ça : les théâtres

Loco 2000

Mon expérience la plus riche de théâtre action a eu lieu à Belfort au Théâtre Granit scène nationale, de 1998 à 2000, à partir du projet de démolition d’une barre de logements surnommée la Loco, au centre des Résidences, cité HLM de douze mille habitants.

Quand Henri Taquet, directeur du Granit scène nationale, me parla de la demande de la municipalité d’accompagner « festivement » cette démolition, j’ai sauté sur l’occasion. J’allais pouvoir faire en sorte que tous ces gens qui n’avaient jamais mis les pieds au théâtre et étaient sûrs qu’il n’était pas pour eux, se l’approprient physiquement et artistiquement.

Il y a toujours un monde après la fin du monde de Michel Gheude au Théâtre Granit en 2000. Scénographie Pierre Heydorff. Costumes Françoise Luro.

Les actions artistiques

J’ai mis en place petit à petit différentes actions artistiques. 

En premier des ateliers théâtre. Puis j’ai fait venir de Bruxelles l’auteur Michel Gheude, pour animer des ateliers d’écriture, tisser de nombreux liens dans la cité et écrire le texte du spectacle. 

Puis le guitariste de jazz et compositeur Malo Vallois pour travailler avec les musiciens de la Loco. 

Puis le photographe Max Armengaud. Je le connaissais du temps où j’étais à l’Opéra Garnier où je l’avais fait entrer pour qu’il puisse en faire le portrait en tant qu’institution à travers les portraits individuels de ceux et celles qui y travaillaient. Tant et si bien qu’il avait continué ensuite avec l’Elysée, le Vatican, les Arènes de Madrid, le Palais présidentiel de Vaclav Havel… maintenant Max faisait le portrait de la Loco !

Et puis Pierre Heydorff pour organiser l’atelier de construction du décor avec des personnes en cours de réinsertion sociale. 

Et Françoise Luro, pour la confection des costumes par une association venant en aide aux femmes en difficulté.

Le spectacle

Les différents ateliers (théâtre et écriture) et le travail de Michel Gheude ont abouti à un texte qu’il a intitulé Il y a toujours un monde après la fin du monde et qui constituait le matériau du spectacle joué six fois au Granit en juin 2000. 

Le pari le plus risqué était gagné : la réunion dans la salle et sur la scène des habitués du théâtre et des habitants de la Loco dont une cinquantaine jouaient, chantaient et dansaient, épaulés par sept professionnels. 

Le spectacle permettait à la cité HLM de se dire et de dire aux autres habitants de Belfort sa richesse de vie, sa culture, son passé, ses rêves, la mémoire des générations et de ses différentes communautés.

La scénographie utilisait au mieux toutes les possibilités de la scène à l’italienne: un immense trou matérialisait les ruines de la Loco, des anges s’envolaient dans les cintres, une Peugeot entrait en scène, un mur constitué de boîtes aux lettres multicolores comme un immense manteau d’Arlequin descendait des cintres, une cabine de téléphone polyglotte sortait du sol…

Il y avait la musique de Malo Vallois, du rap, du hip hop et de la danse contemporaine interprétée par deux danseurs du Centre chorégraphique national.

Prix national 2000 de l’Initiative Sociale

C’est la seule fois dans ma carrière où il a fallu mettre en place un service d’ordre pour empêcher les spectateurs d’envahir la salle, en fait les jeunes qui s’étaient tenus à l’écart et souhaitaient maintenant prolonger le spectacle dans la salle : ils escaladaient le Granit pour rentrer par les fenêtres !...

Parallèlement, le travail de Max Armengaud et celui de plusieurs étudiants de l’Ecole des Beaux Arts étaient exposés à la Fnac, dans les bus municipaux, dans des appartements de la cité ou dans les vitrines des centres commerciaux. Il en reste aujourd’hui une fresque de cinquante portraits faits par Max achetée et exposée dans le hall d’entrée du Conseil Général. 

L’ensemble des manifestations « Loco 2000 » a obtenu le Prix et Trophée national 2000 de l’Initiative Sociale décerné par la Banque Française de Crédit Coopératif.

Il était financé par le Granit, des aides exceptionnelles de la ville, du Conseil de l’Europe et de la Caisse des dépôts et consignations.

Il y a toujours un monde après la fin du monde de Michel Gheude au Théâtre Granit en 2000. Scénographie Pierre Heydorff. Costumes Françoise Luro.

La Maison des Piedalloues

Autre exemple de théâtre action : au quartier des Piedalloues d’Auxerre, en 2003.

Il s’agissait d’enquêter pour la municipalité qui voulait savoir quel équipement culturel les habitants souhaitaient voir édifier ou non dans leur quartier.

La compagnie a loué et planté au centre du quartier le grand chapiteau du cirque Zanzibar pendant trois semaines pour y présenter plusieurs fois par jour un spectacle musical interactif qui donnait un avant goût de ce que l’on peut faire dans les maisons de jeunes ou de loisirs : les spectateurs suivaient un parcours en colimaçon au cours duquel cinq comédiens proposaient différentes activités susceptibles d’être pratiquées dans les maisons des loisirs: musique, chant, qi cong, judo, boxe, escrime, danses de salon, clown, chorale, botanique, cuisine, peinture, guitare, pétanque, apprentissage de langues vivantes, sculpture, marionnettes, modélisme, jeux de société, théâtre de répertoire.

À la fin de chaque représentation on demandait aux spectateurs de dire ce qu’ils voulaient. Pour ceux qui ne venaient pas, on faisait du porte à porte. Au-delà du résultat global de l’enquête auprès de la quasi totalité des 2.500 habitants du quartier (un tiers pour, un tiers contre et un tiers indifférent) et de réponses très détaillées au sujet des activités souhaitées et des lieux d’implantation de la future « Maison des Piedalloues », l’évènement permit que le dialogue entre générations se noue dans le quartier, que la parole circule et que d’autres préoccupations s’expriment.

La force et la fragilité de notre structure de toile, la présence humaine permanente qu’elle nécessitait, étaient essentielles : le chapiteau est vite devenu le terrain de jeux et d’aventures des enfants et des jeunes du quartier et le rendez-vous des moins jeunes désireux de parler d’un futur lieu d’échanges qui pour eux faisait cruellement défaut dans le quartier.   

Par l’Art pour l’Humanité

J’étais directeur artistique en 95, 96 et 97 du Théâtre du Peuple de Bussang (Vosges).

J’avais le grand et redoutable privilège de fêter le Centenaire de ce lieu exemplaire du théâtre populaire, cathédrale païenne dont le bois respire au rythme des saisons, toute pleine des odeurs de la forêt vosgienne.

Sur le cadre de scène son fondateur l’écrivain Maurice Pottecher a écrit « par l’Art, pour l’Humanité ».

Le Théâtre du Peuple est effectivement un des rares vrais bâtiments de théâtre conçu à partir d’un répertoire et fréquenté massivement et fidèlement par un public constitué de toutes les classes sociales. Un public à la fois disponible, curieux et exigeant parce qu’ayant une vraie culture du lieu.

Amateurs et professionnels

Pour le Théâtre du Peuple j’ai expressément choisi des pièces peu connues du grand répertoire à grandes distributions pour amplifier et qualifier l’autre spécificité utopique du lieu : le mélange sur scène des amateurs et des professionnels : La Petite Catherine de Heilbronn de Kleist et Peer Gynt d’Ibsen.

Dans cet esprit, j’ai mis en place en 95 des ateliers réguliers de pratique artistique tout au long de l’année avec lesquels j’ai notamment mis en scène dans des hôtels restaurants à La Bresse et Bussang un spectacle satellite de la saison estivale 97 : La Noce d’après plusieurs auteurs (Tchekhov, Denise Bonal, Daniil Harms et Leonid Lipaski).

Peer Gynt d'Ibsen au Théâtre du Peuple de Bussang en 1996, avec Eric Ruf, Nadia Fossier, Eric Berger, Julien Chavrial, Pier Lamandé...

Retour à la création

J’ai commandé à l’auteur Serge Valletti Au rêve de gosse pour le Centenaire du Théâtre. La pièce a ensuite été tournée par les ATP (Amis du Théâtre Populaire) saison 96-97. 

Depuis quarante ans, aucune véritable création n’avait été produite à Bussang à l’exception notable de La Nuit au cirque d’Olivier Py en lever de rideau de l’Amphytrion de Molière (1992). 

Je voulais rester fidèle à la pensée fondamentalement anticonformiste de Maurice Pottecher et à la vocation première du Théâtre du Peuple : la création de textes écrits spécialement pour lui.

Car l’utopie voulue par Maurice Pottecher s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, contrairement à de nombreuses expériences semblables amorcées fin 19ème siècle, grâce au répertoire voulu et écrit par lui, un répertoire exigeant, profond, puissant et réellement contemporain.

☞ Le théâtre de répertoire contemporain et classique

☞ Le théâtre paradoxal